Sur un luth d'ivoire
Le jardin de la nuit
Sur un luth d'ivoire
O vous que j'évoquais - pâles Musiciennes
Qui frôliez l'instrument qu'à mon tour j'ai frôlé -
Les gestes de jadis, les grâces anciennes,
Votre rêve jamais ne me fut révélé.
Pourtant le son plaintif des cordes que j'effleure,
Mystérieux écho du long passé vibrant,
A sans doute charmé vos tristesses d'une heure,
Ou votre vaine attente, ou votre espoir mourant.
Quand, présent disparu que l'avenir ignore,
Ma vie aura l'attrait de ce songe effacé,
Quelle main passera, frémissante et sonore,
Où mes doigts oubliés auront déjà passé?
Sur le fragile ivoire, errante et passagère,
Eveillant les échos de ces airs que j'aimais,
Cette main sera tienne, ô future Etrangère!
Toi que mes yeux éteints ne connaîtront jamais.
Pense aux soeurs d'autrefois, douce Inconnue! à celles
Dont les jours sont finis et les amours lointains;
Tu rejoindras aussi ces âmes fraternelles
Qui, dans le frêle essor de leurs vols incertains,
Fantômes fugitifs, éternels et sans nombre,
Sous la pâle lueur de taciturnes cieux,
Furtivement, avec des vagues gestes d'ombre,
Frôlent d'un doigt muet les Luths silencieux.
Premiers poèmes, 1895.