Jeux d'enfants
Jeux d'enfants
Lorsque j'étais enfant, Père, tu m'enseignais
Les beautés des Enfers des Grecs; et j'y prenais
Un étrange plaisir fait de crainte et d'envie.
Ayant peur de la mort, ayant peur de la vie,
La nuit, ah! que de fois en rêve, m'enfonçant
Au plus noir, si petite, auprès du Roi puissant
Qui règne sur le peuple aux formes de fumées
J'allais! J'allais chercher mes ombres bien aimées
Les nommant, ou leur faisant signe. Tous ces morts
Si lointains, accouraient, pour me voir, sur les bords
De leur infranchissable et redouté rivage.
Tous m'aimaient, car j'étais timide, douce et sage;
J'arrivais du pays du soleil et du vent,
A tous j'en rapportais un peu de jour vivant
Et dans mes yeux si neufs des forces de lumière.
Je gardais mes gâteaux pour apaiser Cerbère,
J'abreuvais de mon vin la Danaïde en pleurs,
Tantale avait mes fruits, Perséphone mes fleurs,
La jeune Iphigénie était ma soeur obscure;
Tous, tous, venaient sur moi respirer la nature,
Les femmes, les héros, les tristes, les hardis,
Ceux qui sont morts si vieux, ceux qui n'ont pas grandi
Ceux qui n'ont rien laissé dans aucune mémoire
Et ceux-là prolongés par un rêve de gloire.
Tous m'aimaient; et les plus indifférents. Charon
Me laissait bonnement traîner un aviron
Et naviguer, rieuse, un moment dans sa barque.
J'allais voir Eurydice ou tracasser la Parque
Qui m'offrait à tourner quenouilles et fuseaux,
Et j'embrouillais les fils et cachais les ciseaux.
Personne ne grondait la petite vivante.
Je penchais sur le Styx mon front sans épouvante;
Je cueillais tous les lis du Hadès ombrageux
Puis, remontant au jour, lasse enfin de ces jeux,
Je retrouvais ma vie et renouais ma trame,
Sous quelque myrte noir ayant laissé mon âme.
Car plus tard, j'ai chéri, à l'heure des amours,
Ces amants de jadis que l'on aime toujours.
C'est pourquoi j'ai, si tôt, sur une paume étroite
Soupesé toute cendre et ce qu'on en convoite
Et vécu dans un lieu que le songe défend.
Je m'y réfugiais déjà: Etrange enfant!
Père, me disais-tu, et sauvage et très sombre...
Mais goûtant cette paix d'être, d'avance, une ombre.
Les Poésies, 1931