Gérard d\'Houville

Gérard d\'Houville

Stances aux dames creoles

Stances aux dames créoles

 

Lorsqu'il fait chaud et que je suis rêveuse et seule

                      Je pense à vous,

Vous, dont je ne sais rien, je rêve, ô mes aïeules,

                      A vos yeux doux.

 

Grand'mères mortes, et jadis des ingénues

                      Aux bras si frais,

Jeunes et tendres et que je n'ai pas connues

                     Même en portraits,

 

Qui vivaient autrefois toutes petites filles

                     Aux longs cheveux,

Dans une sucrerie, en un coin des Antilles

                     Voluptueux.

 

La chaleur trop ardente entr'ouvrait les batistes

                     Sur leur sein blanc,

Elles se balançaient, paresseuses et tristes,

                     En s'éventant.

 

Leurs yeux se reposaient de la lumière vive

                     Joyeux de voir

Le visage lippu d'une esclave furtive

                     Luisant et noir.

 

Les bons nègres rieurs dansaient des nuits entières

                     Leurs bamboulas

Ou bien chantaient des chants parmi les cafeyères

                     Câlins et las.

 

Protégeant votre teint, pâle sous la mantille,

                     Et délicat.

Vous savouriez dans les vergers la grenadille

                     Et l'avocat.

 

En rêve, sous les transparentes moustiquaires,

                     Vous revoyiez

Le vieil aïeul, voguant vers l'or des îles claires

                     Sur ses voiliers.

 

Les papillons étaient plus grands que votre bouche

                     Et que les fleurs

Qu'illuminait le vol du rapide oiseau-mouche

                     Tout en lueurs.

 

La nuit se parfumait d'astres et de corolles

                     Et, peu à peu,

Vous regardiez s'ouvrir au ciel, belles créoles,

                     Des fleurs de feu.

 

Ah! songiez-vous alors, nocturnes et vivantes

                     Qu'un temps viendrait,

Où rien de vos beautés aux grâces indolentes,

                     Ne resterait?

 

De tout ce qui fut vous nulle petite trace

                     N'a subsisté.

Pas même un pauvre toit sous lequel votre race

                     Ait habité.

 

Tout est mort, ruiné, dispersé; les allées

                     N'existent plus

Qui menaient aux maisons en marbre frais dallées

                     Pour les pieds nus.

 

Par la grande liane et les forêts sauvages

                     Tout est repris;

Et les flots tièdes qui mirèrent vos visages

                     Se sont taris.

 

Pas même un livre usé que j'aime et je manie

                     Ne fut à vous;

Et l'île où vous jouiez à Paul et Virginie

                     Sous les bambous,

 

Si je pouvais la voir, splendide et différente,

                     En aucun lieu

Je ne retrouverais votre mémoire errante

                     Dans l'air trop bleu.

 

Sous quel oubli profond, loinrtain et solitaire

                     Gît votre coeur?

Ce coeur qui m'a légué sa flamme héréditaire

                     Et sa langueur,

 

Ce coeur qui verse en moi quelques gouttes rougies

                     D'un sang vermeil

Et qui m'aurait transmis toutes vos nostalgies

                     Loin du soleil.

 

Si je n'évoquais pas les beautés éternelles

                     D'un ciel brûlant

Du fond magique et noir de tes larges prunelles

                     O mon enfant!

 

Les Poésies, 1931



01/11/2012
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