Petite morte
Petite morte
Sur ton sein ténébreux, enfant triste endormie,
O Terre! je repose, et serre entre mes bras
La poupée aux yeux peints qui fut ma seule amie
Et qui sait mes secrets, qu'elle ne dira pas.
Si petite, j'étais si pensive et si sage
Que je tins peu de place, et je fis peu de bruit;
Je négligeais la joie et les jeux de mon âge
Et songeais à la mort lorsque venait la nuit.
Je n'étais pas encor femme quand je suis morte;
C'est pourquoi mon tombeau, étroit comme mon lit,
N'enferme ni parfum, ni fards d'aucune sorte,
Ni mon premier miroir d'acier pâle et poli.
J'ai voulu, loin de l'ombre et des funèbres marbres,
Suspendre ce miroir dans les bois que j'aimais;
Il s'y balance ainsi qu'un fruit clair dans les arbres
Bien haut, pour que nuls doigts ne l'y cueillent jamais.
Et qu'il puisse, parmi les bouleaux et les saules,
Voir l'astre féminin s'arrondir lentement,
Puisque entre mes cheveux flottant sur mes épaules
Mon miroir n'a pas vu croître mon sein charmant.
Les Poésies, 1931