Le rouet de Kerdanet
Le rouet de Kerdanet
Celui qui t'a créé dans tes formes légères
Est depuis bien longtemps couché dans son linceul,
Et souvent tu passas par des mains étrangères
Avant de rester là, noir, vulnérable et seul!
L'araignée a garni ta bobine immobile
Du léger fil soyeux qui remplace le lin;
L'aïeule au doigt tremblant devenu malhabile
S'est endormie aussi du long sommeil sans fin;
Et celle qui filait par la chanson bercée
Les langes de l'enfant qu'elle avait espéré,
Toi qui charmas son rêve et sa douce pensée,
Tu la vis s'en aller et tu n'as pas pleuré.
Et si tu vois, le soir, sur cette galerie,
Balcon frêle et léger, courant le long du mur,
Parmi le grand silence empli de rêverie
Quelque fantôme blanc glisser dans l'air obscur;
Tu ne le diras pas, et les salles mal closes
Ne te trahiront pas non plus, ô vieux rouet
Qu'entoure le prestige exquis des vieilles choses,
Rouet mystérieux, solitaire, et muet!
Toi qui vis s'écouler des jours lointains sans nombre,
Rêve triste ou joyeux à jamais effacé,
Lorsque nous serons morts, tu resteras dans l'ombre,
Cher témoin d'un présent devenu le passé.
Premiers poèmes (1894-1903