Ariane
Ariane
Ah! quelle âme amoureuse et souvent désolée
Comme vous à Naxos ne se vit exilée
Dans une île d'attente et de lointain espoir?
Que mon rêve un moment sur votre rêve plane,
Douce soeur du regret, langoureuse Ariane,
Je veux songer à vous et vous aimer ce soir.
Je vous penche au métier, au clair de la croisée
Entr'ouverte, ourdissant la trame entre-croisée
Du tissu fabuleux de vos tristes amours;
Le fil qui se dévide au vol de la navette,
N'a-t-il guidé celui que votre ennui regrette
Dans l'obscur labyrinthe et ses sournois détours?
Et dans votre mémoire, au plus secret méandre
D'un passé si perfide, et cependant si tendre,
Toujours le même fil se déroule, parmi
Tous les longs souvenirs d'une âme inapaisée,
Pour, au fond du dédale, ainsi que fit Thésée,
Réveiller votre amour comme un monstre endormi.
Mais, l'oubli, du métier va détendre le voile
Dont vous aviez brodé la merveilleuse toile
Dans la mélancolie et dans l'isolement;
Des plaisirs d'autrefois vous en tressiez la chaîne,
Ariane, et pourtant prête à l'ardeur prochaine,
Vous vous en parerez pour le prochain amant.
Vous ne contemplez plus l'étincelante crête
Du flot qui bat aussi le bord natal de Crête
Ni le grand pâturage où meugle un taureau blanc;
L'automne vous a prise en ses pourpres étranges
Et le vent porte, avec l'ivresse des vendanges,
Comme un bourdonnement de tambourin tremblant.
Et pourtant vous pourriez, sage, vivre en vos songes,
Sur la trame sans fin variant leurs mensonges,
Avoir le long bonheur d'un espoir toujours vain.
Pourquoi recommencer l'éternelle aventure,
A tout jamais la même et passée et future?...
Le regret de l'amour, seul, l'a rendu divin.
Les Poésies de Gérard d'Houville, 1931